mercredi 22 mars 2017

ARCHIVE DU BLOG MARATHONIEN67 MARS 2017

 30e édition des 20 Bornes de Huningue

LA CIGOGNE APPORTE LES TROPHÉES 
 
On dit souvent que la cigogne apporte les bébés mais parfois, dans sa musette, elle transporte aussi des trophées. La mascotte de l'Alsace adore la course à pied. Elle aime déployer ses grandes ailes sur la ligne d'arrivée. 

30e édition des 20 Bornes de Huningue: LA CIGOGNE APPORTE LES TROPHÉES
Dimanche matin, à Huningue, la cigogne, oiseau de bon augure,
nous a accompagné dans l'épreuve(Crédit photo: Jo Cande)


Huningue et moi, c'est tout une histoire. Tout commence, il y a onze ans, en 2006 précisément. Cette année là, début mars, je rentre tout juste d'un stage d'entrainement de trois semaines en Afrique du Sud (à 1600m d'altitude). Là-bas, à l'entrainement, ça rigolait pas. Les footings en mode pistard avec mon frère et Bob (Tahri) ne duraient pas des lustres mais, à chaque fois, en 40 minutes, on s'enfilait douze bornes. Les séances de fractionnés que j'expédiais sur la belle piste en gazon du centre sportif de Potchefstroom laissaient entrevoir de belles choses. Une fois de retour en Alsace, me trouvant dans une forme intéressante, je souhaitais me tester en compétition pour voir ce que ça pouvait donner de beau. Ainsi l'idée de participer à l'épreuve d'Huningue, un des rares "20 bornes" de France mesuré officiellement et donc homologué FFA, a germé dans mon esprit. 

«1h03'20''», c'était le record de l'épreuve. Ce record, propriété de Guy Nunige, je partais pour l'améliorer. Dimanche 05 mars 2006, dans le petit matin frileux, c'est avec ces chiffres et une stratégie de course en tête que j'ai quitté Strasbourg en voiture pour rejoindre Huningue (situé 130km plus au sud). Seulement, manque de bol, je suis resté bloqué sur la A35 à hauteur de Colmar. Au cours de la nuit, 40 cm de neige sont tombés recouvrant entièrement le département du Haut-Rhin. Jamais, je n'aurais pu imaginer pareil scénario. Malgré la vigilance orange météo concernant la région Alsace, chez moi, dans le Bas-Rhin, que dalle, nada, on ne trouvait pas la moindre trace blanche sur le bitume. Finalement, alors que j'étais fin prêt à en découdre, j'ai du rebrousser chemin la mort dans l'âme, me doutant bien, vu l'état des routes, que l'épreuve n'aurait pas lieu. Et, ce fût bien le cas. Cette fois là, les "20 bornes de Huningue" furent annulées. Cette traînée blanche a tout fait foirer. Les organisateurs ont du raccrocher leur tablier, et moi, je suis rentré bredouille, sans avoir pu assouvir ma soif de performance. Une fois de retour à la maison, je suis allé me défouler sur la piste cyclable et je me suis promis de revenir un jour à Huningue. 


Et le 13 mars 2016, j'ai tenu parole. Dix ans après, je suis revenu, j'ai vu... mais Gregory (Schmitt) m'a vaincu... De peu. L'athlète de l'AC Huningue, certainement au sommet de son art, a couru huit secondes plus vite que moi (1h05'56 contre 1h06'04) remportant du même coup un joli succès. 

 
Dimanche 12 mars 2017. Un an après avoir loupé de peu la victoire, je reviens tenter ma chance à Huningue. Et pour moi, le constat est clair : mes deux précédentes tentatives se sont soldées par deux échecs. Et, même si la première tentative n'en est pas vraiment une, puisque avortée avant l'heure à cause des caprices de la météo, j'espère bien que la troisième salve sera la bonne. N'ignorant pas que la persévérance finit toujours par payer, je pars confiant. 
 
Pour m'accompagner dans l'aventure, je peux, comme toujours, compter sur ma moitié. En ce moment, nous préparons tous les deux l'Urban Trail de Luxembourg, une épreuve longue de 34km que j'ai eu le bonheur de remporter l'an passé. Vu le trajet à avaler, nous prenons la route de bonne heure et au bout d'une heure trente nous arrivons enfin à Huningue.
 
30e édition des 20 Bornes de Huningue: LA CIGOGNE APPORTE LES TROPHÉES À peine descendus du véhicule, nous croisons une poignée d'hommes portants des gilets fluo qui s'activent à la tâche près de la salle des fêtes. Au milieu de la petite troupe, je reconnais Gregory Schmitt. Ce dimanche matin, le vainqueur de l'édition 2016 des 20km de Huningue est gentiment venu prêter main forte aux bénévoles de son club. En arrivant à sa hauteur, je m'arrête, l'interpelle et prends quelques instants pour le saluer. 


En compagnie du sympathique Gregory Schmitt, vainqueur
des 20 bornes de Huningue en mars 2016. Ce jour là, j'ai
terminé deuxième à huit secondes de la gagne.  

Ayant pris de ses nouvelles récemment, par l'intermédiaire de son président de club, je sais déjà qu'il ne défendra pas sa couronne. C'est dommage car nous avions fait une belle course ensemble l'année dernière et je nous voyait bien repartir pour un tour. Juste avant de retourner bosser, Grégory me souhaite bonne chance et on se donne d'ores et déjà rendez-vous au départ de l'édition 2018. 

 
Les premiers coureurs entrent et sortent de la salle des fêtes. Les premiers dossards sont distribués à l'intérieur de ce lieu chaleureux. Un lieu qui a l'habitude de recevoir des artistes d'un tout autre genre que ceux qui vont et viennent dans ses couloirs ce dimanche matin. Aujourd'hui, sur l'allée qui borde l'endroit, les musiciens qui vont se donner en spectacle n'ont pas amené de guitares, mais leurs semelles vont vibrer en cadence et leurs cœurs vont produire mille et un roulements de tambours. Ils courent, ils courent, les troubadours. Ventiler en compète, c'est comme souffler dans une trompette. Ce dimanche, une drôle de partition va se jouer sur le pavé. Dans les artères d'Huningue et dans les alentours, le chant du bitume va résonner.
 
Dans la salle des fêtes, je tombe sur les dirigeants de l'AC Huningue et une discussion sympathique s'engage. Cette année, j'ai hérité du dossard numéro 1. Espérons que ça ne va pas me porter la poisse et que je ne vais pas connaitre de mauvaise surprise. Ce qui est sûr, c'est que la neige ne va pas se mettre à tomber à gros flocons. Il fait beau, limite doux et le vent se fait presque discret. L'an dernier, je me souviens qu'il ne nous avait pas épargnés. Au niveau de l'adversité, je sais déjà sur quel pied danser mais on n'est jamais à l'abri d'une surprise. J'en sais quelque chose. De plus, un incident de course ou une blessure ne sont jamais à exclure. Huningue ne s'offre pas au premier venu. C'est la troisième fois que je tente de gagner ici, j'espère donc que cette fois la chance va me sourire.  

Une petite heure avant le départ, ma moitié et moi partons nous échauffer. Nous longeons le canal d'Huningue en empruntant un petit chemin vert. Il fait bon, il fait bleu. Les rayons du soleil nous accompagnent. C'est vraiment plaisant.

Ainsi donc, ce dimanche matin, j'ai atteri dans le fin-fond du Haut-Rhin. Et, qu'est-ce qui m'amène ? Surement pas le chant des sirènes. Disons plutôt le chant du bitume. Bientôt, je vais entrer en scène. J'entends déjà le clap des semelles sur l'asphalte, le souffle rauque des athlètes, les cris de la foule en furie, le ronronnement et les coups d'klaxons de la voiture ouvreuse. Aux abords du départ, une forte odeur de camphre flatte mes narines et éveille l'esprit de compétiteur qui sommeille en moi. Cette odeur, c'est le déclic. Quand je la renifle, je suis prêt à bondir sur ma proie. C'est le conditionnement du chien de Pavlov. L'avant de mes semelles effleure la ligne blanche qu'il ne faut surtout pas empiéter. Comme les autres concurrents, j'ai le corps courbé vers l'avant et l'index de ma main droite tâte le bouton poussoir de mon bracelet-chronomètre en attendant de pouvoir enfin appuyer. Dans dix secondes, le coup de feu va retentir. 20 bornes, c'est la distance que nous allons devoir parcourir.

 
Le départ de la course est donné à 10h00 précise. Après le décompte, le coup de pistolet claque et au bout de quelques enjambées, je me retrouve devant avec Joseph Schiro 5e des récents championnats d'Alsace de cross, Nicolas Meunier, et Michel Juillard, un vieil habitué de l'épreuve, ancien vainqueur, et toujours fidèle au rendez-vous haut-rhinois. Cette année, il court les 20 bornes en relai avec un ami. Il est en effet possible de participer à l'épreuve en duo, chaque coéquipier s'élançant pour parcourir 10km.
 
Notre quatuor couvre le premier kilomètre en 3'25. L'an dernier, avec Gregory, nous étions partis plus vite. Pourtant, même si j'espère que le chrono au bout ressemblera à quelque chose, je ne prévois pas de produire mon effort avant le 5e km. En attendant ce point, je ne mets pas le nez à la fenêtre.
 
30e édition des 20 Bornes de Huningue: LA CIGOGNE APPORTE LES TROPHÉES Deux kilomètres plus loin, nous ne sommes plus que deux devant. Avec Joseph Schiro à mes côtés, j'atteins le fameux 5e km en 17'00. À partir de là, je me cale sur un petit 3'20/km, suffisant pour prendre seul la tête de l'épreuve à partir du 6e km. La suite ne sera qu'une simple formalité. Je connais bien l'allure sur laquelle j'évolue puisque j'ai couru bon nombre de semi et même de marathons sur le même train. Papy ou pas, ce ne sont pas 15 bornes à 18km/h qui vont me tuer. Mes temps de passage seront les suivants : 5KM 17'00 - 10KM 33'34 - 15KM 50'19 - 20KM 67'09 

Pas de quoi sauter au plafond mais j'en avais encore un p'tit peu sous la semelle et je pense qu'à la bagarre j'aurais eu quelques arguments à faire valoir. En prenant un départ plus rapide et avec plus d'adversité, le chrono aurait été meilleur mais on ne va pas chipoter. J'ai enfin vaincu la malédiction de Huningue. La 3e tentative fut la bonne.



Plus qu'un petit kilomètre à avaler avant l'arrivée.
La victoire ne tombe pas du ciel mais d'un nid de cigogne !
(Crédit photo: Nicolas Fried. Merci.)


Après avoir pris quelques minutes pour répondre aux questions des journalistes locaux, je file changer de vêtements à la voiture et je pars à la rencontre de Carole en empruntant le parcours à contre-sens, déclenchant le rire des bénévoles que je croise sur ma route.

« Hey Monsieur, la ligne d'arrivée se trouve de l'autre coté ! », me lancent t-ils avec un air amusé.


- Je sais, merci. C'est moi qui l'ai inauguré tout à l'heure ! (rires).  
 
Au bout de quelques minutes à remonter la rivière en frétillant à contre-courant tel un saumon sauvage, je fini par rejoindre ma truite chérie. Elle est devancée de quelques mètres par un monsieur qui porte un drôle de chapeau. En y regardant de plus près, je m'aperçois que c'est une cigogne. La cigogne, mascotte de notre région a pris ses quartiers sur la tête de ce coureur Thannois, qui du coup doit, je l'imagine, se sentir pousser des ailes. Du moins, j'espère pour lui, parce que ma moitié ne va pas se gêner pour lui voler dans les plumes au moindre signe de faiblesse. 

Cela dit, pour le moment, il n'a pas l'air entamé. Agité par quelque passion, il fait claqueter son bec d'un bruit sec et réitéré. Plus que deux ou trois courtes enjambées et nous rattraperons ce drôle d'oiseau qui plaisante presque autant qu'il court. Tant est si bien qu'avant même de le rejoindre et de courir à ses côtés, nous comprenons sans peine qu'il y a de la joie chez ce coureur Thannois. Une joie contagieuse. Une joie si bien partagée qu'on en n'oublierait presque la fatigue des kilomètres accumulés jusque là. Ou quand le verbe courir rime d'avantage avec sourire qu'avec souffrir. Le sourire se porte été comme hiver, tout devient gris quand on le perd. 

« Allez Strasbourg !!! », « Allez Thann !!! » Un dernier virage à droite et soudain, à l'horizon, se profile la ligne d'arrivée. Les cris du speaker et l'engouement de la foule nous entraînent droit vers elle. Le monsieur coiffé d'une cigogne déploie ses grandes ailes et nous offre un sourire empreint de sincérité. Nos mains se joignent naturellement, sans la moindre hésitation et sans que nous n'échangions le moindre mot. Un simple regard suffit.
 
L'arrivée se dessine. Quelques foulées plus loin, la course se termine et nous laissons la cigogne reprendre son souffle. Une fois reposée, le grand oiseau blanc va reprendre son envol et embarquer sa musette pleine de trophées sous d'autres cieux, vers d'autres contrées. Au revoir grand échassier ! Le cliquetis produit par ton bec va bien nous manquer. 

La mascotte de l'Alsace aime la course à pied. Elle aime déployer ses grandes ailes sur la ligne d'arrivée. 


 
30e édition des 20 Bornes de Huningue: LA CIGOGNE APPORTE LES TROPHÉES
Quand il carbure, l'oiseau de bon augure a fière allure !